Libre pensée et protestantisme libéral
Maître d’œuvre de l’école laïque et artisan de la Loi de 1905, dite « de séparation des Églises et de l’État », Ferdinand Buisson, protestant libéral devenu libre penseur, s’en explique dans quatre lettres dont la publication est assurée par Le Protestant, organe des protestants libéraux qui demandent à l’un des leurs, le pasteur Charles Wagner, d’y répondre.
Cet échange entre deux amis qui s’estiment et réfléchissent ensemble sur leurs accords et leurs divergences s’inscrit dans le climat de la « guerre des deux France », une époque au cours de laquelle les anticléricaux ou tenants d’une France laïque s’affrontent à ceux en qui ils voient ou veulent voir les ennemis de la République. Ce contexte politique éclaire l’appel pressant que Buisson lance aux protestants libéraux de faire front commun avec les libres penseurs.
Défenseur d’une « foi laïque », Buisson fait valoir tout ce qui rapproche protestantisme libéral et libre pensée, plaidant en faveur d’un idéal éthique commun rationnellement fondé, qui ne serait rien de moins que la « substance » de la religion. À ses yeux, le Dieu qu’affirment les protestants ne se distingue guère du Bien et du Vrai que mettent en avant les libres penseurs.
Reprenant un par un les arguments que Buisson oppose aux croyances religieuses ayant cours dans les milieux tant protestants que catholiques, Wagner rappelle avec conviction que Dieu, loin d’être un simple principe explicatif ou éthique de la raison, est avant tout un Dieu vivant dont la vie anime et qui fait vivre ceux qui croient en lui, même si ceux-ci ne disposent pas d’un langage adéquat pour en parler.
De fait, tout ce que Buisson est enclin à abandonner et à supprimer dans la tradition chrétienne, Wagner invite à le réinterpréter et à en chercher le sens profond, en appelant à redécouvrir, au-delà des dogmes, des croyances et des rites qui font l’Église, l’esprit de la prophétie et de l’Évangile, qui « fait la force de la Réforme » et « est le foyer vivifiant du protestantisme d’avant-garde », tant il est persuadé qu’une foi vécue selon l’Évangile et l’idéal éthique, loin de s’opposer, ne peuvent que s’aiguiser et s’interpeller mutuellement.