L’Affare Vivaldi

Revue de presse italienne .

Federico Maria Sardelli : L’Affare Vivaldi (Sellerio, 2015) — L’Affaire Vivaldi (van Dieren, 2022)
Brouillons de traductions à l’usage documentaire exclusif de la Presse.

Sommaire :

Marco Del Corona, Corriere della Sera

Leonetta Bentivoglio, La Republica,

Nicola Cattò (Entretien), Musica

Luca Scarlini, Il Manifesto

Gaetano Santangelo, Amadeus

Francesco Mannoni (Entretien), Corriere del Ticino

Enrico Raggi (Entretien), Il Giornale di Brescia

Sergio Frigo, Il Gazzettino

Giovanni Gavazzeni, Il Giornale

Emanuela Schenone (Entretien), Il Secolo XIX

Simone Lenzi, Il Tirreno

Pietro Acquafredda, Suono


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Corriere della Sera

Quotidien (Milan), 30/03/2015, p. 28

De l’oubli au fascisme, la découverte de Vivaldi est une aventure

Par Marco Del Corona

Vivaldi est là, ici avec nous. Comme s’il l’avait toujours été. Bien que souvent maltraitée par la routine ou le mauvais usage, sa musique (qui va bien au-delà des Saisons) reste magnifique et son nom jouit d’une certaine familiarité même chez les non-enthousiastes.

Il n’en a pas toujours été ainsi. La renommée d’Antonio Vivaldi – virtuose du violon, compositeur, même impresario – a décliné rapidement jusqu’à sa mort dans la misère en 1741, que rappelle aujourd’hui une plaque sur la Karlsplatz de Vienne : il était une étoile de la musique et a disparu pendant deux siècles, connu tout au plus par les transcriptions qu’en fit Johann Sebastian Bach.

La redécouverte de son vaste répertoire, cependant, est une histoire récente. Un corpus capital de manuscrits est réapparu à Monferrato en 1926, légué par le marquis Marcello Durazzo au collège voisin des salésiens qui souhaitaient les vendre, ignorant l’immense valeur artistique de ces manuscrits. Ce trésor a été heureusement intercepté par le musicologue Alberto Gentili et par Luigi Torri, directeur de la Bibliothèque nationale de Turin, qui a réussi à l’acquérir grâce à la générosité de l’agent de change Roberto Foà.

Mais ces quatre-vingt-dix-sept volumes de manuscrits n’étaient pas tout. La récupération de l’autre moitié de la collection, résultat d’un démembrement misérable, n’a pas été moins heureuse. Elle se trouvait à Gênes, dans le palais d’un autre Durazzo, et a finalement été acquise grâce à l’intervention d’un autre mécène, Filippo Giordano. À partir de là, la musique de Vivaldi a peu à peu retrouvé sa place dans le monde, tandis qu’aujourd’hui encore, on découvre des pages jusqu’alors inconnues du Vénitien dans les bibliothèques d’Europe.

Raconter cette odyssée est un acte de dévotion et de gratitude, pour lequel Federico Maria Sardelli – chef d’orchestre, interprète des pages du Prêtre roux injustement moins écoutées (le répertoire sacré, les cantates, l’opéra…) – a relevé le défi. Sardelli a traité L’Affaire Vivaldi comme une partition et lui a imposé un da capo.

Sous la forme d’un roman, il commence par la fuite de Venise d’un Vivaldi endetté, remonte le fil des changements de mains de ses manuscrits et atterrit dans l’Italie fasciste, le Duce miaulant sur le violon prétendu du musicien.

Et ici, Sardelli rend hommage à Vivaldi, qui n’apparaît jamais, et à Gentili et Torri (mais aussi à Foà et Giordano, les mécènes). Une prose efficace et nette rend hommage aux découvreurs et se moque de la volonté fasciste de s’approprier le génie très italien de Vivaldi, subordonnant presque sa valeur musicale à l’exaltation nationaliste. Sardelli dispense des sarcasmes contre les affronts vénaux du clergé, l’arrogance d’un Ezra Pound qui s’érige en connaisseur de Vivaldi et ignore au contraire l’abc du baroque. Il ne cache pas la façon dont le juif Gentili a été privé de pouvoir et contraint de fuir (comme Foà et Giordano) par les lois raciales.

Sardelli s’est méticuleusement appuyé sur des sources documentaires : « Les faits relatés sont, pour la plupart, des événements réels » explique-t-il.

Mais au-delà de la philologie, il y a l’amour, dont les partitions évoquées sont révélatrices : un Beatus vir, l’un des trois phénoménaux concertos pour piccolo, celui dont le violon se fait l’écho au loin. Histoire vraie, émotion vérissime.

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La Repubblica

Quotidien (Milan), 16/04/2015, p. 48-49

Le mystère Vivaldi et les manuscrits perdus

Par Leonetta Bentivoglio

Chapô

L’Affare Vivaldi ? C’est un jeu de détective, une arche poursuivie par un musicologue déguisé en Indiana Jones et un trésor grossièrement manipulé par l’ignorance du fascisme. Il s’agit avant tout d’un voyage de plusieurs siècles à travers les manuscrits, au cours duquel un musicien brillant et fécond du xviiie siècle, resté inconnu pendant une immense période, a fini par devenir un phénomène pop. Il est bien connu que le glorieux compositeur vénitien Antonio Vivaldi est aujourd’hui célébré et proposé à toutes les sauces, en version philologique ou rock, sacralisée ou hystériquement accélérée par les groupes baroques à la mode.

Beaucoup ignorent le sort dont a été victime la musique du Prêtre roux, tombée dans l’oubli pendant tout le xixe siècle. Les raisons et les détours de cette énigme apparaissent dans une enquête habile, oscillant entre le xviiie et le xxe siècle et écrite comme un roman : L’Affaire Vivaldi, par lespécialiste et interprète de Vivaldi Federico Maria Sardelli, chef d’orchestre, fondateur de l’ensemble Modo Antiquo et responsable du catalogue Vivaldi à la Fondation Cini de Venise.

« Je connaissais déjà cette histoire » rapporte Sardelli de Livourne, qui est également dessinateur et auteur satirique. « Mais pour le livre, je voulais m’y plonger avec des enquêtes méticuleuses sur les chroniques, la correspondance et les archives. L’approche non fictionnelle aurait refroidi un récit aussi rocambolesque. J’ai donc choisi la fiction, mais toujours avec des personnages authentiques et des situations documentées. »

Pour tenter de résumer, disons que, après une vie de triomphes, l’auteur des Quatre Saisons, écrasé par les dettes, meurt dans la pauvreté. Des piles de ses partitions se sont évaporées pendant près de deux siècles, jusqu’à ce qu’un salésien, dans les années 1920, propose au directeur de la Bibliothèque nationale de Turin et à l’éminent musicologue juif Alberto Gentili, qui a été chargé de les évaluer, d’acheter un mystérieux legs. Comme la Bibliothèque n’a pas les moyens de les acquérir, l’agent de change Roberto Foà intervient comme mécène. Pendant ce temps, en étudiant les manuscrits, Gentili se rend compte qu’il manque des pièces à la collection miraculeuse, et il les récupère en remontant à la source originale du don, la famille Durazzo. Cette seconde tranche de matériel est également achetée grâce à l’argent d’un autre mécène, l’industriel Filippo Giordano. Tout cela alimente le fonds Foà-Giordano de la Bibliothèque nationale de Turin, premier moteur du gigantesque renouveau de Vivaldi. L’idiotie du régime liquide les architectes du projet : le professeur Gentili s’échappe, « purgé » par les lois raciales ; Foà et Giordano fuient tous deux à l’étranger. Alfredo Casella et l’Accademia Musicale Chigiana revendiqueront la découverte d’un auteur qui, depuis les années 1930, n’a cessé d’être célébré.

Mais comment est-il possible que tout ce matériel soit resté inédit ? « Bien que les biographies du compositeur évoquent ici et là l’histoire de ce matériel, l’accent n’a jamais été mis sur l’histoire dans l’ensemble, explique Sardelli. J’ai trouvé des photos, des lettres, des télégrammes et toute sorte d’échanges entre les acteurs de l’intrigue : beaucoup se sont mêlés de l’affaire pendant le fascisme. Parmi les interlocuteurs du ministère de la Culture figurait également D’Annunzio, qui a déclaré son intérêt pour les écrits de Vivaldi. »

Ezra Pound également tenta de s’adjuger ce patrimoine ; avec sa maîtresse, la violoniste Olga Rudge, ils se sont emparés des partitions, effectuant des transcriptions dont Sardelli – ne cachant pas son aversion pour le poète états-unien – montre l’ineptie. « L’arrogance avec laquelle Pound s’est approché de Vivaldi est insupportable, précise le musicologue. Soutien indéfectible du régime fasciste et fier de son arrogance, Pound a réussi à s’emparer de cette musique en utilisant ses amitiés avec les puissants de Rome. Il a donné des interviews sur son travail de transcripteur de musique qui m’ont permis de mettre ses propres mots dans sa bouche. D’autre part, l’ensemble du livre est issu de témoignages concrets. Par exemple, pour faire parler les salésiens, j’ai épluché leurs bulletins. Pas plus de dix pour cent de ce que j’ai écrit est le fruit de mon imagination. »

Dans les premiers chapitres de L’Affaire Vivaldi, des fragments d’ordonnances du tribunal contre le compositeur, qui était harcelé par des créanciers, sont reproduits. Très présente dans ce récit est la figure de son frère François.

La scène de l’expulsion de ce dernier de Venise pour avoir outragé un noble est digne du Vernacoliere, le périodique pour lequel Sardelli lui-même travaille : « C’est la première fois que cet épisode a eu les honneurs de la presse, peut-être parce que baisser son pantalon et exhiber son membre, comme l’a fait Francesco Vivaldi, n’est pas le comble de l’élégance. Cela semble inventé, mais au contraire, il est bon de savoir que le document qui le rapporte peut être consulté à la Bibliothèque Marciana de Venise. »

Vivaldi n’apparaît jamais réellement dans le livre, qui commence avec sa mort. Le grand protagoniste reste quelque peu invisible : « J’ai fait ce choix, dit Sardelli, parce qu’il y a eu une prolifération tellement immense et déviante d’informations à son sujet que j’ai préféré éviter de me joindre à ce chœur. Dans les nombreux livres et films qui sont sortis sur Vivaldi, il est déformé dans une perspective kitsch. On a trop parlé, par exemple, de sa relation avec les femmes, puisqu’il était professeur de violon à la Pietà, un orphelinat pour femmes à Venise. Des relations coupables avec de jeunes élèves féminines et avec la chanteuse Anna Girò, âgée d’une trentaine d’années de moins que lui, ont été évoquées. Le malicieux Goldoni spécule sur une relation entre les deux, mais il n’y a aucune preuve. À l’époque, les prêtres étaient très contrôlés par l’Inquisition, pourtant le nom de Vivaldi ne figure jamais dans la masse de rapports sur les arrestations et les procès. »

L’auteur n’a aucun doute sur les raisons du succès actuel de la musique de Vivaldi : « Le mérite en revient à la ligne mélodique claire, qui pénètre immédiatement la tête et le cœur, comme cela se produit lorsqu’on écoute Mozart. Il attire intensément dès le premier impact. Ce qui ne veut pas dire dire qu’il est superficiel. Vivaldi accède à des profondeurs abyssales, en particulier dans la musique sacrée. Je voudrais qu’il soit libéré à la fois de la manière romantique tardive de l’interpréter et des excès de notre époque. Et au-delà du magma de ragots dans lequel il a été plongé, laissons ses œuvres nous parler de lui. »

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Musica

Mensuel (Varese), 06/2015, p. 40-43

Federico Maria Sardelli et Vivaldi : la recherche du style

Par Nicola Cattò

Ceux qui, pour connaître la biographie de Federico Maria Sardelli, tomberaient sur celle que l’on peut lire sur le site du Vernacoliere, l’historique magazine satirique de Livourne pour lequel le maestro est une prestigieuse signature depuis de nombreuses années, auraient du mal à voir en lui le spécialiste de Vivaldi, le musicologue et le chef d’orchestre raffiné. Sardelli est un flûtiste, compositeur, dessinateur, chef d’orchestre et écrivain : une hypostase moderne de l’homo faber du xvie siècle, pourrais-je dire, bien que je craigne – avec cette définition pompeuse – de finir par être transpercé par sa plume caustique ! Plume, d’ailleurs, qui vient de publier, chez Sellerio, un roman intitulé L’Affare Vivaldi, un véritable bijou qui reconstitue l’histoire – presque entièrement réelle – de la découverte des manuscrits de Vivaldi, entre la Venise des décennies suivant la mort du Prêtre roux et le Turin du Ventennio fasciste, dans lequel s’est déroulé l’inestimable travail de redécouverte du même par deux érudits passionnés, Gentili et Torri, le premier musicologue à l’Université de Turin, et le second directeur de la Bibliothèque nationale de la ville. Et c’est à partir de ce livre que commence ma conversation avec le maestro, occupé à répéter l’opéra Narciso de Domenico Scarlatti à Valence.

Qu’est-ce qui vous a donné l’idée d’un tel livre ?

Les événements qui y sont relatés sont connus, dans les documents et les biographies de Vivaldi, depuis longtemps : mais l’histoire était si belle et rocambolesque, si – en fait – fictive (pensez aux deux enfants juifs morts, au nom desquels les collections se réunissent !) que je ne voulais pas l’écrire sous forme d’essai, avec beaucoup de documents originaux, de lettres, de télégrammes, des coupures de journaux et un appareil de notes rigoureux. Je pensais que la forme romanesque me garantirait un public beaucoup plus large, alors je me suis aussi amusé à recréer un lexique para-historique, en écho à Goldoni.

Avec des « supercazzole » ante litteram !

On ne sait presque rien de Francesco Vivaldi (le frère d’Antonio), à l’exception de l’incroyable épisode dans lequel il montre son pénis en public : alors je pensais qu’un type comme ça pouvait parler comme un comte Mascetti de l’époque !

J’ai trouvé la figure de Casella assez ambiguë dans le roman : comment évaluez-vous historiquement son travail de récupération des « classiques italiens » ?

Dans le texte, il est un acteur secondaire, qui apparaît à la fin dans l’« écurie » du comte Chigi Saracini : j’espère ne pas l’avoir trop éreinté, car il a joué un rôle d’une importance remarquable, bien que son approche de la musique ancienne italienne soit équivoque, car il ne disposait pas des outils paléographiques nécessaires pour comprendre les manuscrits. À l’époque, il y avait deux factions, pour ainsi dire, reflétant autant d’approches de ce répertoire : certains, menés par Malipiero, prônaient une interprétation fidèle, « puriste », tandis que d’autres, dont Casella et Respighi, préféraient adapter les compositions aux instruments et aux formes modernes, estimant que l’original n’aurait pas été compris.

Ce qui est aussi la position d’Ezra Pound, dans le roman…

Certainement : Pound était, en musique, un amateur total, qui voyant les portées vides pensait qu’elles devaient être remplies d’improvisations !

Sans revenir à ces expériences lointaines, énormément de choses ont changé dans l’approche du répertoire ancien et baroque au cours des trente-quarante dernières années : je pense à votre Orlando furioso en comparaison avec celui de Scimone ! Mais, qu’est-ce qui a principalement changé ?

J’ai grandi en écoutant I Musici, les Solisti Veneti, les Virtuosi di Roma, qui ont accompli un travail méritoire : je ne comprends donc pas ceux qui aujourd’hui critiquent ou tournent en dérision ces groupes ou les anciennes éditions imprimées éditées par Malipiero. Je veux le redire encore : avec toutes les limitations, il s’est agi d’une époque glorieuse, caractérisée par le feu de la redécouverte, dans laquelle l’Institut Vivaldi produisait en moyenne trois à quatre partitions par mois ! Dans les années 1970, nous avons ensuite commencé à nous rendre compte que, sans prendre en considération les traités qui illustrent les pratiques d’exécution, on n’irait guère plus loin : ce n’est plus seulement ce qu’on joue qui compte, mais aussi comment on le joue.

C’est une approche de l’indéfini, d’une réalité qui nous échappe, car personne n’a de machine à remonter le temps : et c’est ce que j’ai toujours essayé de faire, moi aussi, avec mon groupe Modo Antiquo, en me demandant toujours, pour n’importe quel répertoire – de Pérotin aux Beatles –, comment ils faisaient à l’époque, ce qu’attendait le public, quel était le goût du jour.

Et voici donc ce qu’est la philologie

Exactement ! Nous utilisons souvent ce mot de manière péjorative, signifiant quelque chose de froid, poussiéreux, pédant, mais en réalité, il s’agit de la loupe permettant d’interpréter toute musique, toute période historique.

Je vous provoque : je sais que vous êtes allergique au terme Ba-Rock, c’est-à-dire à cette proposition un peu racoleuse de musique ancienne avec une pratique presque hystérique : qu’en pensez-vous ?

Le mot me fait dresser les cheveux sur la tête, c’est une attitude qui m’exaspère : autant j’aime cette période historique, autant je mets de soin à essayer de la comprendre, avec la plus grande prudence et un grand scrupule de l’approche historique, autant je ne supporte pas de voir cette musique rudoyée, pour plaire au goût du jour. Vous entendez des groupes de musique ancienne qui se mélangent au New Age ou qui introduisent continuellement des effets spéciaux tels que des coups d’archet et de bois, des pizzicati, des ralentissements et accélérations, des refrains, des accents soudains : mais ce qu’ils font, c’est de la pop, pas de la musique ancienne ! Il faut être clair, sinon il s’agit d’une escroquerie commerciale : si nous étions dans une boulangerie, le contrôle alimentaire l’aurait déjà fermée, mais malheureusement, il n’y a pas de service équivalent pour la musique baroque !

Appliquez-vous également les principes avec lesquels vous abordez Vivaldi dans le répertoire ultérieur, par exemple avec l’Orchestre philharmonique de Turin dont vous êtes le principal chef invité ?

Le trait commun est de s’intéresser à ce que faisaient les contemporains du compositeur, à ce qu’ils mangeaient, ce qu’ils appréciaient, en d’autres termes, d’entrer dans un goût et un esprit : quel était le contexte, comment une pièce était reçue, comment les interprètes de l’époque la jouaient, ce qui était une rupture pour eux et ce qui était une tradition. De tout cela j’essaie de faire une « traduction sonore ».

Vous jouez un rôle clé dans les études musicologiques sur Vivaldi : quel est l’état de la recherche ?

Lors de la conférence vénitienne de 2007 – un moment historique dans la musicologie de Vivaldi ces dernières années – Peter Ryom a pris sa retraite, me laissant avec la « patate chaude » du catalogue vivaldien. Je dis cela parce que le musicologue danois y a travaillé de 1968 à 2007, sans rien divulguer entre une mise à jour du volume et la suivante. Quinze années ont donc pu passer sans nouvelles officielles, ce que j’ai décidé, en accord avec l’éditeur Breitkopf & Härtel, de changer en publiant un bulletin annuel avec les révisions du catalogue. Une sorte de glasnost vivaldienne !

Vous disposez également d’un riche catalogue en tant que compositeur (de nombreuses partitions sont disponibles sur IMSLP) et votre dernier CD (chroniqué dans le numéro 263 de MUSICA) est un exercice de style raffiné à la manière baroque : mais à quoi cela sert-il aujourd’hui, n’est-ce pas une manière ingénieuse de se dérober à un langage contemporain ?

Ce serait un très long à expliquer. Je compose depuis l’âge de onze ans, c’est une nécessité intérieure pour moi, et j’ai écrit beaucoup de musique, à la fois dans des langages contemporains et à la manière de. Conscient qu’il n’existe pas un langage contemporain, mais tant de voies possibles, je me suis rendu compte que mon principal besoin était de parler à mes contemporains de manière intelligible. Et si pour chacune des compositions je me crée un langage qui n’est pas universellement reconnaissable, je m’empêche de toucher mes auditeurs, alors que la koinè baroque fonctionne, elle transmet encore des émotions, et m’est familière. La question « quel est l’intérêt d’écrire dans une langue morte ? » est légitime, mais cette langue a, pour moi, une grande valeur si elle émeut, si elle communique quelque chose.

Qu’est-ce qui distingue votre ensemble Modo Antiquo des nombreux autres ensembles, italiens et non italiens, qui fréquentent le même répertoire ?

Je n’aime pas faire de comparaisons, ni ne veux nommer des collègues, mais la principale caractéristique, qui coïncide avec ma vision esthétique, est l’adhésion non au texte écrit – qui, dans la musique baroque, n’est jamais complet ou exhaustif –, mais à cette masse d’informations qui provient des sources les plus diverses, de la peinture à la poésie, en passant par les récits de voyage. En deux mots : l’attention au contexte, qui produit des exécutions plus propres et plus classiques, loin des effets faciles.

La plume acérée et caustique du caricaturiste et auteur du Vernacoliere se retrouve-t-elle en quelque sorte dans votre travail de musicien ?

Ce sont deux mondes complètement séparés : quand je dirige, je fais tout au plus quelques blagues avec l’orchestre, mais je ne mets pas à faire des caricatures de Vivaldi. Faire rire les gens en musique est très difficile et peut-être même inutile.

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Il Manifesto

Quotidien (Rome), suppl. hebdo. « Alias domenica »), 19/04/2015, p. 4

Le vivaldien Sardelli joue avec les manuscrits redécouverts du Prêtre roux

Par Luca Scarlini

Federico Maria Sardelli a, de longue date, une foi vivaldienne bien documentée, qui s’illustre dans les activités de son ensemble Modo Antiquo, fondé en 1984 et actif dans les théâtres du monde entier, ainsi que dans une riche activité discographique. Depuis 2007, en outre, le maestro qui a écrit plusieurs volumes monographiques sur le sujet est responsable de la poursuite du catalogue des œuvres du Prêtre roux, qui porte le titre de Vivaldi Werkverzeichnis. Une veine satirique traverse également l’œuvre de Sardelli (il collabore avec le Vernacoliere [journal satirique de Livourne, ndlr] depuis l’âge de douze ans).

De l’union de la recherche musicologique et du récit humoristico-surréaliste est né le « roman tiré des faits » L’Affare Vivaldi, récemment publié par Sellerio. Nous retraçons ici l’incroyable redécouverte, dans les années 1920, d’une étonnante collection Vivaldi, repérée dans un couvent de Monferrato (qui en avait hérité) par Luigi Torri et Alberto Gentili, des érudits intègres qui ont été trahis par les abus de l’histoire. Le récit s’ouvre dans la Sérénissime peu après la mort du compositeur, qui a laissé derrière lui une quantité insurmontable de dettes. D’où les tentatives de son frère Francesco pour sauver la musique des convoitises obsessionnelles, tandis que l’écho de la clameur publique, la publication des dettes infâmes du musicien, résonne dans les calli et les canaux. L’enchaînement des faits, fidèlement retracé dans les événements, est bien sûr romancé : un noble dévot qui laisse par testament de précieux volumes à des prêtres peu scrupuleux, qui les envoient ramasser par une charrette à fumier. Puis la découverte qu’une autre moitié des manuscrits était entre les mains d’un noble génois, de la lignée des Durazzo, courtisé, avec de longues circonlocutions, pour obtenir le trésor.

Une fin heureuse semble couronner les angoisses des deux chercheurs, qui s’allient et cherchent désespérément des fonds. Ces fonds arriveront bizarrement à la suite de la mort de deux enfants. Leurs parents, de riches hommes d’affaires, tous deux juifs, offrent les importantes sommes nécessaires pour apporter les œuvres à la Bibliothèque nationale de Turin. Tout semble résolu, mais les infâmes lois raciales mettent Gentili dans l’impossibilité d’agir et d’autres s’attribuent le mérite de la prodigieuse découverte. En arrière-plan, l’ombre du Meilleur Forgeron, c’est-à-dire Ezra Pound, apparaît. Les concerts donnés avec sa compagne, la violoniste Olga Rudge, ont suscité un regain d’intérêt pour Vivaldi, tant dans ses activités « amateurs » à Rapallo et dans les environs que dans les travaux qui ont conduit à la création de la première Settimana Chigiana à Sienne, avec l’aval autorisé d’Alfredo Casella. Sardelli dépeint l’écrivain états-unien comme un possédé, dont les nombreuses connexions politiques avec le régime augmentent encore l’arrogance.

En définitive, le thème le plus intéressant du divertissement de Sardelli est la « propriété » de la beauté. C’est-à-dire comment des créations de l’esprit humain peuvent être enrôlées pour des raisons de nationalisme ou de stratégie politique.

On se souvient donc de la rencontre du duo Gentili-Torri avec le Duce, qui coupe court à leurs déclarations grandiloquentes en demandant si la musique redécouverte est belle et se contente de dire : « Il y aura donc aussi du pain pour mon violon ».

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Amadeus

Mensuel (Milan), 06/2017, p. 15

« L’Affare Vivaldi »

Par Gaetano Santangelo

Ceux qui vivent dans le monde de l’imprimé sont entourés de personnes qui écrivent par profession et/ou par nécessité. Et c’est un travail que l’on fait presque toujours avec grand plaisir, surtout quand on a le libre choix du sujet. L’érudit traite d’essais et de biographies tirés de documents conservés dans les bibliothèques et les archives. Il s’agit parfois de longues et ennuyeuses listes d’ouvrages et d’écrits oubliés dans des étagères poussiéreuses. Il est plus rare de trouver un musicien qui, en plus d’exercer une profession exigeante, trouve également le temps d’écrire. Federico Maria Sardelli, musicien, chef d’orchestre, auteur d’essais et d’études sur Vivaldi, dessinateur et caricaturiste, a plutôt trouvé le temps d’écrire un roman, de trouver un éditeur (Sellerio), de remporter un prix prestigieux (Comisso 2015) et, enfin, d’entamer une carrière théâtrale qui a tout d’un succès bien mérité. Les débuts de cette pièce, mise en scène dans l’Aula Magna du Collège Ghislieri pour le cycle de Pavie Barocca, a été un triomphe, avec l’auteur, Federico Maria Sardelli. en chef d’orchestre et soliste de l’Ensemble Modo Antiquo (bien connu de nos lecteurs) et l’acteur Luigi Lo Cascio, qu’on félicite aussi pour avoir habilement monté la version théâtrale du roman.

Le livre dont nous discutons est L’Affare Vivaldi, par le susmentionné Sardelli. Mais ce qui est curieux, c’est que L’Affare Vivaldi (qui, il faut le souligner, est un roman) ne porte pas sur la vie du célèbre compositeur des Quatre Saisons et de bien d’autres musiques, mais sur les événements entourant ses manuscrits. Du papier, donc, qui parle de papier. Mais ce journal est aujourd’hui le véhicule qui nous a apporté la musique du musicien le plus prolifique et le plus pittoresque de notre pays : le Prêtre roux. Il était aussi le plus envié, car il avait à sa disposition un orchestre de femmes, caché de tous et visible seulement par lui. Envié et admiré, il est mort pauvre à Vienne.

Sa musique, cependant, risquait d’être perdue, mais heureusement… Ici commence l’histoire des incroyables aventures des manuscrits du Prêtre roux.

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Corriere del Ticino

Quotidien (Lugano), 17/04/2015, p. 34

Lorsque Vivaldi a fui Venise accablé de dettes

par Francesco Mannoni

Chapô

Antonio Vivaldi a connu un destin singulier : près de deux siècles d’oubli, comme si sa musique n’avait jamais existé, puis la découverte de ses précieux manuscrits en 1922 par le professeur Alberto Gentili dans la bibliothèque des salésiens du Collège San Carlo de Borgo San Martino, dans le Piémont. Vivaldi avait quitté Venise en 1740, accablé de dettes. La charge de sa famille et sa mauvaise santé l’avaient conduit à Vienne dans l’espoir de trouver quelque engagement avec l’empereur, mais le 28 juillet 1741, en raison de son état de plus en plus précaire, il tomba malade et mourut à seulement soixante-deux ans. Entre-temps, à Venise, l’huissier de justice avait mis sous séquestre la maison du musicien, habitée par deux sœurs vieilles filles. Avant que les créanciers ne prennent possession de tout, son frère Francesco, avec l’aide d’un domestique, a vidé de nuit toutes les armoires de la maison où Vivaldi avait rangé ses partitions et les a cachées, mais si bien qu’elles n’ont jamais été retrouvées pendant deux siècles. Un autre musicien important, chef d’orchestre et flûtiste, ainsi qu’écrivain accompli, Federico Maria Sardelli, membre du comité scientifique de l’Istituto Italiano Antonio Vivaldi et responsable du catalogue Vivaldi, a reconstitué la disparition dramatique et la récupération réussie dans un roman passionnant, qui a les sanctions d’un thriller et le rythme d’un opéra dans lequel résonnent des volutes baroques aériennes.

Maestro, qu’est-ce qui fait de Vivaldi un musicien extraordinaire ?

Je crois qu’aucun autre musicien n’a subi un sort aussi bizarre et cruel : être oublié et non joué pendant deux siècles. Les causes de cette situation sont étroitement liées à l’état de la musique en Italie dans les années 1730 : une crise économique effrayante, une diaspora de musiciens italiens fuyant à l’étranger, une forte mode napolitaine qui avait sapé le goût musical vénitien. Cette situation a écrasé le pourtant célèbre Vivaldi, qui s’est retrouvé à fuir Venise couvert de dettes. Et ainsi débute l’oubli : déjà peu joué dans les dernières années de sa vie, Vivaldi se retrouve oublié dès sa mort. Si l’on ajoute à cela la disparition de sa collection privée de manuscrits – des centaines et des centaines de compositions originales –, on peut comprendre la raison de ce silence. Heureusement pour nous, Vivaldi a enfin été redécouvert. Et nous réalisons qu’il est un géant. Comme Mozart, il parle immédiatement au cœur, ses formes et ses lignes claires et parfaites atteignent les profondeurs et rendent son langage universel.

Vivaldi, ou Prêtre roux comme on le surnommait, était-il un symbole de Venise ?

Venise, dans les premières décennies du xviiie siècle, était une capitale culturelle très importante : de grands compositeurs, musiciens, peintres, hommes de lettres, architectes et sculpteurs s’y pressaient encore avant la grande crise de ces années-là. Vivaldi était l’un des nombreux artistes talentueux que cette ville avait produits. Avec son premier recueil imprimé de concertos, le célèbre « Estro Armonico », Vivaldi s’est imposé dans toute l’Europe comme un modèle et a surpassé tous les autres compositeurs vénitiens en termes de renommée.

Quels sont les mérites du professeur Gentili qui a retrouvé les manuscrits de Vivaldi ?

Les mérites d’Alberto Gentili – et de Luigi Torri – sont grands et j’espère qu’avec mon livre, nous commencerons à réévaluer ces deux grandes figures qui nous ont donné non seulement Vivaldi, mais aussi Stradella et de nombreux autres compositeurs du passé. Aujourd’hui, presque personne, même parmi les musiciens et les musicologues, ne se souvient de qui était Alberto Gentili : pourtant, il était un grand compositeur, chef d’orchestre, professeur – son traité d’harmonie a enflammé l’école –, musicologue : la première chaire d’histoire de la musique dans une université italienne a été ouverte spécialement pour lui à Turin. Et, après ces grands mérites, le fascisme a su le récompenser, en l’expulsant de l’université, parce qu’il était juif, et en le contraignant à un exil douloureux.

Pourquoi l’État fasciste a-t-il toujours manifesté un certain désintérêt pour les œuvres de Vivaldi ?

Plutôt que de se désintéresser, je dirais que le fascisme a pu exploiter ce dont il avait besoin de la redécouverte de Vivaldi à des fins de propagande, ignorant effectivement du contenu et laissant les créateurs de la redécouverte de Vivaldi complètement seuls et sans fonds. Que les découvreurs de Vivaldi se rendent en pèlerinage chez le Duce pour lui montrer leurs exploits et lui offrir « le violon de Vivaldi », qu’ils fassent un peu de bruit dans la presse, cela ne posait aucun problème au régime, mais lorsqu’il s’est agi de réunir l’argent pour acquérir ces trésors musicaux pour l’État, celui-ci s’est montré avare et sourd : l’argent a été laborieusement réuni par Gentili grâce aux dons de particuliers, qui étaient aussi des juifs.

Pourquoi le poète Ezra Pound a-t-il voulu publier les manuscrits ?

Pound était, entre autres, également un bon musicien amateur et avait un amour sincère pour la musique ancienne. Lorsqu’il entend parler de Vivaldi et de ses premières découvertes, il est enflammé par la curiosité et décide de programmer des concerts de Vivaldi dans son fief du Tigullio à Rapallo, avec sa maîtresse, la violoniste états-unienne Olga Rudge. Cependant, cette noble intention de revalorisation a été entachée par l’arrogance naturelle et la violence du poète, qui voulait accéder aux manuscrits de Turin par la force, en contournant Gentili – qui était leur gardien et divulgateur naturel – grâce à ses amitiés influentes dans les cercles fascistes. De plus, il faut dire que Pound ne disposait pas des connaissances musicales pour réaliser des transcriptions correctes de cette musique : ses transcriptions dénotent d’importantes incompréhensions paléographiques.

La famille Vivaldi a traversé diverses vicissitudes. Pourquoi tant de difficultés ?

La famille de Vivaldi était nombreuse : il avait sept frères et sœurs, dont deux, Margarita et Zanetta, restées vieilles filles, vivaient dans l’appartement situé en dessous de celui d’Antonio. En fait, elles étaient les bonnes du Prêtre roux et vivaient à ses dépens. Vivaldi avait également la charge son père Giovanni Battista, qui a vécu toute sa vie sous le même toit, jusqu’en 1736, cinq ans avant la mort d’Antonio. Les deux, Giovanni Battista et son fils, ont formé un couple stable tout au long de leur vie : ils ont joué du violon ensemble dans diverses institutions et le père était le copiste de son fils. Vivaldi était – comme on dirait aujourd’hui – « en situation de handicap ». Malade de naissance avec des douleurs à la poitrine, il ne pouvait pas marcher et devait toujours être assisté par des personnes l’accompagnant dans ses déplacements. Tout cela lui a coûté très cher, en termes financiers.

Quelle est votre relation avec le maestro ?

Je dois avouer que j’ai appris de lui les principes fondamentaux de la composition et j’irais même jusqu’à dire de la bonne composition. L’art d’être clair, limpide et pourtant expressif, l’art de sculpter la phrase et de la rendre exemplaire, mémorable, l’art d’aller au cœur des situations dramatiques et expressives sans surcharger l’harmonie ou remplir la partition de notes. C’est la grande leçon de Vivaldi, ce qui le rend élevé. En effet, comme le dit Olivier Fourès, Vivaldi est celui qui regarde la perruque de Bach du Plus Haut.

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Il Giornale di Brescia

Quotidien (Brescia), 08/04/2015, p. 35

À travers les siècles, sur les traces du Prêtre roux

Par Enrico Raggi

De la Venise baroque à la Turin fasciste dans le roman du musicologue Sardelli

Éternel Vivaldi, Prêtre roux toujours vert. Il fascine, intrigue, conquiert à nouveau. Vous l’écoutez une fois, sa musique s’ouvre à vous comme la mer Rouge. Et vous ne le quittez plus jamais. Federico Maria Sardelli en sait quelque chose : peintre et dessinateur à la fine barbichette ricanante à la Bernin (préférez-vous le Méphisto texan ?), chef d’orchestre longiligne et costaud, flûtiste fougueux, musicologue érudit et auteur du journal satirique Il Vernacoliere, il poursuit le Don Antonio de la lagune depuis au moins trente ans et continue de l’aimer à la folie : « Plus les années passent, plus j’aimerais le rencontrer en personne » soupire-t-il. Entre-temps, il lui dédie de premiers enregistrements mondiaux, édite le catalogue monumental Vivaldi Werkverzeichnis (qui a pris la suite de la classification dirigée par Peter Ryom, RV), redécouvre des œuvres oubliées : en 2005, au Concertgebouw de Rotterdam, deux cent soixante-dix ans après sa création, il a fait revivre l’opéra Montezuma.

Son ouvrage L’Affare Vivaldi vient d’être publié par Sellerio, un roman historique débordant d’intelligence, de sympathie, d’érudition déguisée et de sagesse culinaire flagrante. Ici, le volcanique Sardelli traque l’histoire des manuscrits de Vivaldi, dans un va-et-vient dense entre une Venise baroque saumâtre et une Turin fasciste sur le point d’exploser, Gênes et le Montferrat, au milieu d’une foule de faussaires, de notaires, de jésuites, de flics, de domestiques, de barbiers, de bibliophiles, du Duce furieux et d’un Ezra Pound hilarant. Un tourbillon convulsif qui semble tiré de l’Allegro du Concerto pour piccolo RV 443, au milieu d’éternuements ursins, de salutations romaines, de doigts porcins, de salamalecs à l’ancienne, d’yeux bouffis, de sueur à grosses gouttes, d’odeurs de chien mouillé, d’haleine de rat mort, des Sœurs du Petit Cœur brisé de Gravellone, de « ciucia qui e ciucia là » et d’autres saletés.

« Éternelle sera la mémoire des justes » dit le psaume qui clôt le livre : il fait référence au prodige réalisé par deux enfants morts qui rendent chacun au monde la moitié des archives manquantes de Vivaldi. Des centaines de chefs-d’œuvre inédits étiquetés sous le nom des « petits anges » Mauro Foà et Renzo Giordano.

« Les circonstances entourant la récupération des manuscrits ont réellement eu lieu, assure Sardelli. Les événements relatés sont, dans leur quasi-totalité, réels. Si les dialogues sont issus de mon imagination, l’enchaînement des événements, aussi extravagant qu’il puisse paraître, est authentique. Les écrits qui apparaissent sont des fragments d’injonctions d’époque, je n’ai fait que les synthétiser et les fondre dans le récit ; tout aussi originaux sont les noms des créanciers, les sommes dues, l’inventaire des biens de Vivaldi, les lieux où je place les protagonistes, le papier à musique utilisé et chaque référence sonore. Sur les événements du xxe siècle, nous disposons d’une foule de preuves, en premier lieu l’idiotie antisémite du régime. Que le recteur de l’université de Turin s’appelle Azzo Azzi semble un artifice grotesque et allusif, concocté exprès pour ridiculiser cet homme mesquin ; au contraire, c’était vraiment son nom. »

Des documents non publiés ?

« Avec ce roman, j’ai redonné vie à des centaines d’entre eux et donné une voix aux papiers silencieux qui contenaient l’essentiel des événements. Pour la première fois, j’ai apporté à la presse un document qui semble être un faux, tant il est bizarre et incroyable ; il décrit la raison pour laquelle Francesco Vivaldi, le frère cadet d’Antonio, a été banni de Venise : il a exhibé son membre devant un patricien vénitien qui l’avait pris pour un médecin et par lequel il était sur le point d’être examiné. Pas d’anecdote banale : tout est vrai et peut être lu dans les documents déposés à la Bibliothèque Marciana de Venise. »

Pourquoi quelqu’un de la renommée de Vivaldi est-il mort dans la pauvreté ?

« La question est intimement liée à l’état de la musique en Italie dans les années 1730 : une crise économique effroyable, une diaspora de musiciens italiens fuyant à l’étranger, une forte mode napolitaine qui avait sapé le goût musical vénitien. Ces deux causes ont écrasé le pourtant célèbre Vivaldi, qui a dû fuir Venise couvert de dettes. Et ils ont sanctionné le début de l’oubli : déjà peu représenté dans les dernières années de sa vie, il s’est retrouvé oublié dès sa mort. Si l’on ajoute la disparition de ses manuscrits et leur confinement dans des bibliothèques privées poussiéreuses, on comprend pourquoi il est resté inconnu pendant quelque cent quatre-vingts ans. »

Était-ce de l’amour avec sa chanteuse préférée, Anna Girò ?

« C’est juste notre déduction, rien ne la confirme. À Venise, les ragots ont brodé sur leur relation (trente-deux ans d’écart). Nous avons des dizaines de procès contre des prêtres vénitiens accusés de scandales sexuels ou autres. Mais Vivaldi n’a même pas été réprimandé. Bien sûr, lorsqu’il a composé les Concertos pour viole d’amour, à l’intention de son élève Anna Maria, il a toujours mis une majuscule aux deux premières lettres du mot “AMour”, pour en souligner les initiales. Chacun déduit ce qu’il veut. »

Qui préférez-vous parmi les protagonistes de l’histoire ?

« Les véritables héros de l’histoire sont Alberto Gentili et Luigi Torri (le premier musicologue à l’Université de Turin, et le second directeur de la Bibliothèque nationale de la ville, ndlr) : si nous connaissons Vivaldi aujourd’hui, nous le devons à leur flair, leur intelligence et leur effort pour que ce trésor musical soit remis à l’État et donc à la jouissance du public. Mais j’ai encore beaucoup d’autres histoires à raconter. »

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Il Gazzettino

Quotidien (Venise), 13/05/2015, p. 21

Vivaldi et la découverte des manuscrits disparus

Par Sergio Frigo

Encensé de son vivant, Antonio Vivaldi a été oublié avant même sa mort, survenue dans la pauvreté à Vienne (où il s’était réfugié pour échapper aux revers économiques et solliciter l’aide de l’empereur Charles VI) le 28 juillet 1741. Dans l’histoire de la musique vénitienne publiée par l’abbé Pietro Canal dans le livre Venezia e le sue lagune (1847), il n’y a pas une seule mention de Vivaldi, malgré les tentatives généreuses, notamment de son frère Francesco –un barbier mélomane, comme son père – pour préserver sa mémoire artistique, tout en s’accommodant des nombreux créanciers dont il a hérité de son génial mais encombrant parent.

Comment se fait-il alors que le « Prêtre rouge » soit une star de la musique mondiale depuis des décennies ?

L’histoire de la redécouverte de Vivaldi est aussi complexe et fascinante qu’un roman, et c’est presque sur le ton d’un roman policier que Federico Maria Sardelli nous la retrace (Sardelli est non seulement l’un des plus grands spécialistes du musicien vénitien, membre du comité scientifique de l’Institut Vivaldi de la Fondation Cini, mais est également compositeur, chef d’orchestre, peintre et l’un des piliers du journal satirique toscan Il Vernacoliere : c’est à lui que l’on doit, entre autres, la récente découverte et la renaissance d’une composition instrumentale censée être la plus ancienne du musicien, ainsi que la renaissance du théâtre musical de Vivaldi.)

L’Affare Vivaldi, publié par Sellerio, reconstitue de manière convaincante mais fidèle (« avec quelques ajouts narratifs dans les quelques lacunes laissées par les documents » assure l’auteur), le chemin tortueux emprunté par les manuscrits après la mort du compositeur, pour arriver de la maison de la Calle de’ Fabbri – cent quatre-vingts ans plus tard – dans les mains du musicologue Alberto Gentili, qui a perçu leur importance et les a fait acheter pour la Bibliothèque nationale de Turin (les volumes avaient été divisés en deux « lots ») par les mécènes Roberto Foà et Filippo Giordano, pour la somme considérable de 430 000 lires.

Le régime fasciste se réjouit de la redécouverte d’un compositeur de stature mondiale, mais les ennuis arrivent ensuite, en la personne d’un autre illustre amateur de Vivaldi, l’écrivain états-unien Ezra Pound, qui, avec sa maîtresse, la violoniste Olga Rudge, et fort de ses appuis dans les hautes sphères du fascisme, a réussi à mettre la main sur les partitions, dont il a toutefois fait des transcriptions jugées absurdes par Gentili et Sardelli lui-même. Gabriele D’Annunzio également manifeste de l’intérêt pour ces manuscrits.

Avec l’entrée en vigueur des lois raciales, les protagonistes de la redécouverte de Vivaldi sont contraints de fuir à l’étranger, à commencer par le découvreur, Alberto Gentili, non sans avoir été privé de sa chaire universitaire et du rôle de conservateur de la collection que Ricordi devait publier au fur et à mesure de la transcription. Mais entre-temps, l’héritage de Vivaldi avait été arraché à l’oubli et célébré dans le monde.

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Il Giornale

Quotidien (Milan), 06/07/2015, p. 27

Tous les secrets de l’« Affaire » Vivaldi

Par Giovanni Gavazzeni

L’Affare Vivaldi est un titre digne de Leonardo Sciascia. Il apparaît sous le sceau de « sa » maison d’édition, Sellerio à Palerme. L’auteur, Federico Maria Sardelli, raconte les vicissitudes romanesques d’un trésor d’autographes musicaux transmis par la famille Vivaldi à l’ambassadeur césaréen à Venise, le mélomane comte Giacomo Durazzo. Deux siècles plus tard, une moitié a été donnée aux pères salésiens de Borgo San Martino dans le Monferrato, envoyée là-bas sur un chariot à fumier. Le reste a pris la poussière dans une bibliothèque aristocratique de Gênes. Deux héros des temps modernes, Luigi Torri et Alberto Gentili, ont compris que ce legs extraordinaire allait changer la face de la connaissance d’Antonio Vivaldi.

La cupidité des prélats et l’insouciance des nobles ont permis de faire acheter les manuscrits par la Bibliothèque nationale de Turin entre 1927 et 1930. Les hauts fonctionnaires piémontais de l’époque (et les bureaucrates) n’ont pas envisagé de financer l’achat. Deux Turinois, Roberto Foà et Filippo Giordano, ont fait don des montants nécessaires aux deux acquisitions, en mémoire perpétuelle de leurs fils Mauro et Renzo, décédés prématurément. Un grand geste civique et humain que les lois raciales ont fait oublier.

Gentili lui-même, comme une amère récompense, a été expulsé de l’Université de Turin parce qu’il était juif. Sardelli garantit que le nom du Magnifique Recteur qui avait si vilement défendu la « pureté des autels », Azzo Azzi, n’était pas une pique de romancier. L’histoire l’avait marqué, « c’était son nom ». L’Affaire Vivaldi est une histoire musicale de la colonne infâme écrite à l’encre livournienne.

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Il Secolo XIX

Quotidien (Gênes), 30/03/2015, p. 11

Mon Vivaldi, quelle magnifique obsession

Flûtiste et chef d’orchestre, Federico Maria Sardelli est un chasseur de partitions inédites

Par Emanuela Schenone

La musique d’Antonio Vivaldi est entrée dans sa vie avec l’impétuosité d’un adolescent qui tombe amoureux, « le genre qui fait battre le cœur plus vite ». Et Federico Maria Sardelli, cinquante et un ans, flûtiste, chef d’orchestre, dessinateur et auteur satirique, a consacré sa vie à la recherche sur le grand compositeur vénitien, sur ses œuvres perdues, oubliées, dispersées dans le monde et dans l’histoire, s’attelant avec dévotion et l’ardeur d’une passion qui ne laisse aucune échappatoire aux fouilles bibliographiques incessantes et à l’enquête philologique. Une mission qui l’a conduit à explorer les archives de la moitié de l’Europe, dans lesquelles chaque fonds, chaque étagère peut réserver une surprise à ceux qui, comme lui, ont entrepris cette aventure, un peu à la manière d’Indiana Jones, à la recherche, certes, de partitions, mais surtout de rédemption pour le « Prêtre roux », comme était surnommé le maître baroque vénitien.

« Révélation » à onze ans

« J’ai découvert Vivaldi à l’âge de onze ans, raconte l’artiste, en écoutant par hasard le troisième mouvement de “L’Été” : c’était la plus belle musique que j’avais jamais entendue. » Fils de l’art – son père est le peintre et dessinateur Marc Sardelli –, le musicien se souvient que chez lui, on n’écoutait « que Beethoven, tout au plus Mozart ou Haydn ». Mais à partir de cette rencontre fortuite, tout a changé. C’est le début d’une histoire d’amour qui le conduit à devenir le directeur du Catalogue des œuvres de Vivaldi, autrement dit le plus grand expert mondial du musicien. Un titre gagné sur le terrain grâce à des découvertes sensationnelles. La dernière en date, en décembre dernier, est la reconnaissance d’une pièce de Vivaldi dans un manuscrit anonyme trouvé dans une bibliothèque de Dresde. Datée entre 1700 et 1703, elle est la plus ancienne œuvre connue à ce jour du compositeur vénitien. « Il n’a pas été facile d’identifier la main de Vivaldi dans cette pièce anonyme, explique Sardelli, mon intuition s’est déclenchée lorsque j’ai remarqué que le copiste était un violoniste qui était son élève… Ensuite, grâce à l’analyse du filigrane, j’ai pu confirmer l’attribution. »

Oubli et redécouverte

En somme, un autre hommage justifié au génie du célèbre artiste. « Vivaldi est mort en 1741 complètement oublié : ses compositions sont tombées en sommeil pendant près de deux siècles, explique l’auteur. Ce n’est qu’au xxe siècle qu’il a été redécouvert. »

C’est autour du mystère de sa musique éclipsée par le temps et les événements que se déploie le roman L’Affare Vivaldi que Sardelli vient de publier chez Sellerio.

« En racontant l’histoire de la récupération rocambolesque de ses partitions, je me suis rendu compte à la fin que j’avais une belle intrigue, poursuit-il, je n’ai inventé que quelques personnages mineurs et évidemment les dialogues. En bref, je voulais y mettre quelque chose de mon cru. »

On y retrouve une certaine veine satirique, autre talent de l’artiste aux multiples talents, collaborateur régulier du Vernacoliere, qui fait surface à plusieurs reprises dans le récit, « dans certaines figures comme le professeur Mario Canello, qui ressemble presque à un Fantozzi, ou la veuve Trotti, qui fait partie de ma galerie de personnages humoristiques. »

De plus, l’affaire est tragi-comique en soi, car les vicissitudes des manuscrits, volés aux créanciers du compositeur, mort dans la pauvreté, puis passés de main en main et enfin disparus, ont quelque chose de dramatique et de farfelu à la fois. Mais, mis à part les mésaventures, pourquoi le rideau est-il tombé sur le répertoire de Vivaldi pendant tant d’années ? « À l’époque baroque, tout était soumis à des modes presque féroces, explique l’auteur. Vivaldi, à l’âge de cinquante-cinq ans, était déjà vieux, dépassé par la nouvelle musique napolitaine. Ainsi ses contemporains l’ont-ils oublié. Puis tout s’est précipité avec le mystère de la disparition de ses œuvres. »

Un véritable thriller qui, dans le livre, se déploie sur deux époques, le xviiie siècle et les années 1920, et traverse plusieurs villes, dont Gênes. « À un certain moment, les manuscrits se retrouvent entre les mains du comte Durazzo, ambassadeur impérial à Venise, et deviennent ainsi la propriété de sa famille, qui, en effet, était génoise, explique Sardelli. L’histoire revient ensuite en Ligurie au xxe siècle, sur la trace de la seconde moitié de la collection conservée au Palazzo della Meridiana. » Finalement, l’entreprise a été couronnée de succès et aujourd’hui, Vivaldi, entièrement réhabilité, connaît une nouvelle fortune. « Aujourd’hui, il est presque une pop star, conclut-il, joué partout et de toutes les manières, souvent massacré par des musiciens qui cherchent l’effet à tout prix. Mais c’est, malheureusement, le prix de la célébrité. En tout temps. »


Il Secolo XIX

Quotidien (Gênes), 12/05/2016, p. 1

Les trente livres à dévorer sous le soleil d’août

Par Massimo Bacigalupo

Federico Maria Sardelli, L’Affare Vivaldi

Sardelli, un musicologue et chef d’orchestre méphistophélique, écrit un roman documentaire vif et instructif sur les vicissitudes des manuscrits de Vivaldi, alternant entre des scènes dans la Venise du xviiie siècle et les événements des années 1920, lorsque l’intérêt et les passions, les intrigues politiques et les tragédies mondiales se déchaînent autour des partitions, dont certaines sont conservées à Gênes. Un véritable roman policier avec beaucoup de personnages bons et mauvais et un narrateur qui s’amuse à faire des dénonciations tragi-comiques.

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Il Tirreno

Quotidien (Livourne), 19/04/2015, p. 21

Un Livournien redécouvre le Printemps

Par Simone Lenzi

Le printemps, enfin. Les parterres de fleurs reverdissent, les cerisiers sont en fleurs, les notes immortelles de Vivaldi apaisent l’attente des téléconseillers. Pourtant, avec tout le respect dû aux parterres de fleurs, aux centres d’appels et aux cerisiers, il n’en a pas toujours été ainsi. Il y a quatre-vingts ans, bien sûr, il n’y avait pas de centres d’appels. Mais il n’y avait pas non plus « Le Printemps » de Vivaldi. Personne ne l’avait entendu depuis des siècles.

Personne, ou presque, ne savait même qui était Vivaldi. Car alors que pour Bach ou Haydn ou Mozart une tradition s’était immédiatement établie qui, exécution après exécution, leur avait assuré une place d’honneur dans l’histoire de la musique, cette même histoire avait réservé à Vivaldi un traitement impitoyable.

À peine sa dépouille enterrée à Vienne, où il s’était enfui pour dettes, le destin avait veillé à outrager également le Corpus de son œuvre. Après une inénarrable série de vicissitudes (pas vraiment inénarrable non, nous verrons bientôt pourquoi), le Corpus démembré de Vivaldi a été transporté sur un chariot à fumier, et jeté pour moitié dans le grenier d’un institut salésien du Monferrato, pour moitié dans la bibliothèque d’une maison patricienne génoise.

Et toute ces merveilles sur papier à musique aurait probablement été laissée à pourrir dans la moisissure, la tête dans le Piémont et la queue à Gênes, si n’étaient pas entrés en jeu deux héros des années 1930, le directeur de la Bibliothèque nationale de Turin Luigi Torri et le professeur Alberto Gentili qui, face à ce trésor, s’est rendu compte que c’était bien cela : un trésor ! Rien de moins.

À l’heure où les lecteurs semblent être devenus accros aux fantaisies bibliomaniaques (pourvu qu’elles soient religieusement dérangeantes), on ne nous a épargné ni les codes secrets des Templiers, ni les énigmes des livres cachés dans des bibliothèques maudites, ni l’ésotérisme de Dante et toute sorte de fumisterie livresque, pour autant qu’elle contienne l’explication d’un mystère qui n’en était pas un.

Il a fallu un Livournien, Federico Maria Sardelli, avec L’Affare Vivaldi (Sellerio Editore), pour que soit enfin révélé, pas à pas, le scandale tragi-comique et italianissime d’une amnésie historique qui risquait de nous faire perdre des pages parmi les plus belles de la musique du xviiie siècle.

Parce que nous, les Italiens, étions déjà comme ça à l’époque. Nous avions l’habitude de nous écorcher les mains applaudissant Vivaldi et quelques années plus tard, eh bien, à bas Vivaldi, vive le goût napolitain ! À tel point que même les meubles de chinoiserie qui garnissaient le studiolo du Prêtre roux ont fini, alors aussi démodés que leur propriétaire, parmi les biens confisqués par l’huissier.

Federico Maria Sardelli – l’un des plus éminents spécialistes mondiaux de l’œuvre de Vivaldi – a ainsi pu nous raconter l’histoire d’une longue absence et de l’héroïsme civil de deux personnes remarquables qui ont réussi à percer le voile de l’oubli. Tissé sur trois siècles, construit avec une grande maîtrise architecturale, le roman de Sardelli est également une juste réparation faite à l’honneur de Vivaldi qu’il convient de partager.

Après tout, le fait que de nombreux protagonistes du xxe siècle dans cette histoire étaient juifs, et qu’ils ont été remerciés par l’État pour ce généreux dévouement avec les lois raciales, est peut-être la raison pour laquelle, parmi les mélodies ressuscitées, la première à s’éveiller du monde des morts, et la dernière à résonner dans les pages du livre est celle du Beatus Vir.

Ce sont les célèbres versets du Psaume 111 : « In memoria aeterna erit justus ». Ici au moins, il s’agit de « aeterna », puisque les hommes ont tendance à oublier si facilement. Il sera bon de se la rappeler lorsque nous écouterons « Le Printemps » et qu’une voix enregistrée nous invite à « ne pas raccrocher afin de ne pas perdre notre priorité ».

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Il Tirreno

Quotidien (Livourne), 13/04/2015, p. 45

La redécouverte des manuscrits de Vivaldi


F.M.S., Livournien, musicien et artiste aux talents multiples, signe son premier roman

Disparus pendant près de deux siècles, passés de main en main entre bibliophiles et légataires, voire transportés sur une charrette à fumier, les manuscrits de Vivaldi sont parvenus jusqu’à nous après des vicissitudes incroyables et oubliées. C’est l’histoire de la redécouverte de cette précieuse musique inédite que nous raconte Federico Maria Sardelli, l’un des plus grands spécialistes de l’auteur des Quatre Saisons, dans son premier roman L’Affare Vivaldi publié chez Sellerio.

— Qu’a-t-elle de particuier, cette charrette ? rétorqua la marquise.

— C’est qu’ils l’utilisent pour transporter la terre ou, disons-le comme cela, enfin… Je ne voudrais pas vous manquer de respect…

La marquise Francesca Da Passano dei Durazzo, qui avait les pieds sur terre, coupa court :

— Le fumier ?

— Oui cela même, Madame, je vous demande pardon.

À travers ce dialogue, Sardelli reconstruit dans le livre le moment où les manuscrits légués par Marcello Durazzo en 1925 aux pères salésiens du collège San Carlo de Borgo San Martino ont été transférés. Non seulement « les faits relatés, explique l’auteur du livre, se sont réellement produits, mais il arrive très souvent que la véracité des faits dépasse la fantaisie. »

Ce n’est qu’à peu d’occasions que Sardelli a dû inventer des personnages ou des situations « pour remplir certains vides laissés par les documents », dit-il. Ce sont les dialogues qui jaillissent de son imagination, mais « l’enchaînement des événements est dû à l’histoire » explique Sardelli qui est originaire de Livourne et, en plus d’être membre du comité scientifique de l’Institut italien Antonio Vivaldi, est directeur chef d’orchestre et flûtiste, écrivain comique et satirique, et collaborateur du Vernacoliere depuis l’âge de douze ans.

L’histoire nous emmène dans la Venise du xviiie siècle, dans la maison de la Calle de’ Favri que le révérend Don Antonio Vivaldi sera contraint de quitter pour échapper aux dettes et aux créanciers qui frappent à sa porte, jusqu’à ce qu’il meure dans la pauvreté à Vienne en 1741. En alternant les chapitres, en remontant et en remontant le temps, Sardelli retrace une redécouverte qui est principalement due à deux érudits passionnés : le musicologue de l’Université de Turin, Alberto Gentili, et le directeur de la Bibliothèque nationale de Turin, Luigi Torri : « Ils sont, dit-il, les véritables héros de cette histoire ».

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Suono

Mensuel (Rome), 06/2015, p. 118

Le Vivaldi redécouvert

Par Pietro Acquafredda

Federico Maria Sardelli, chef d’orchestre, spécialiste du baroque et, surtout, se considérant comme un Vivaldi « réincarné », est l’un des principaux spécialistes du musicien vénitien, responsable du catalogue de son œuvre. C’est avec grand intérêt que nous avons lu d’une traite sa fascinante et agile reconstitution de la redécouverte de Vivaldi, qui a commencé avec la constitution de la célèbre collection « Foà-Giordano » de Vivaldi à la Bibliothèque nationale de Turin au début du xxe siècle. Sardelli assure que ce qu’il a raconté est, pour la plupart, une vérité documentaire et que, dans quelques cas seulement, notamment dans la narration des faits et des personnes qui ont suivi la mort de Vivaldi, il a fait œuvre de fantaisie. Un peu.

L’histoire commence dans les années 1920, lorsqu’un salésien fait savoir qu’il possède un legs de partitions musicales de divers compositeurs, dont il demande la valeur au directeur de la Bibliothèque nationale de Turin (Luigi Torri) et au musicologue Alberto Gentili, dans l’intention de s’en défaire. Gentili découvre les trésors que renferment ces papiers, en les évaluant économiquement à environ 300 000 lires. La Bibliothèque de Turin n’a pas l’argent pour l’acquérir, mais Torri et Gentili se mettent à la recherche d’un bienfaiteur prêt à l’acheter pour en faire cadeau à la Bibliothèque. Ils finissent par rencontrer l’agent de change Roberto Foà, qui achète ce fonds « à la mémoire » de son fils, décédé en bas âge.

Gentili entreprend ensuite d’étudier ce précieux héritage, en prévision d’un catalogage et d’une réédition futurs. Mais il se rend compte qu’il manque certains volumes, ceux qui portaient un numéro pair sur le dos. Ils remontent au donateur initial de la collection, la célèbre famille Durazzo. Après un travail généalogique remarquable, ils retrouvent à Gênes le marquis Marcello Durazzo, issu d’une autre branche de la famille patricienne, qui dans sa vaste bibliothèque a précisément les volumes numérotés pairs manquants dans le fonds déjà acquis par la Bibliothèque. Gentili évalue de nouveau le second fonds et, avec Torri, trouve un nouvel acheteur, l’industriel du textile Filippo Giordano, qui donne la somme nécessaire au second achat, soit 130 000 lires. Ainsi, l’ensemble de la riche collection de Vivaldi a été mis en place à la Bibliothèque nationale de Turin, reprenant le double nom des familles des acheteurs bienfaiteurs : « Foà-Giordano ».

Nous arrivons dans les années 1930 : le régime se réjouit de l’achat, sauf qu’il persécute ensuite les protagonistes de la redécouverte parce qu’ils sont juifs ! Avant que Gentili, père de la célèbre claveciniste italienne Gabriella Gentili Verona, ne soit contraint de fuir à l’étranger, il est devenu le conservateur de la collection que Ricordi devait publier, l’érudit l’ayant transcrite en notation moderne. La nouvelle, qui s’était répandue parmi les spécialistes de la musique baroque, est également parvenue aux oreilles d’Ezra Pound et de sa compagne de l’époque, Olga Rudge – une violoniste travaillant comme secrétaire à l’Accademia Chigiana de Sienne – qui s’occupait alors de transcrire Vivaldi, à partir de manuscrits conservés à Dresde. Le couple se rend à Turin pour rencontrer Gentili et avoir accès aux manuscrits de Vivaldi. Sardelli décrit en de nombreux détails – dont certains que nous présumons fictifs – la rencontre mouvementée entre les trois. Pound réclame les manuscrits, Gentili répond qu’il existe un contrat d’exclusivité avec Ricordi et qu’il a déjà commencé à les étudier et à les transcrire. Il suffisait d’attendre. Et ce n’est pas tout. Lorsqu’il a vu les transcriptions de Pound et de Rudge, il n’a pu s’empêcher de remarquer certaines erreurs grossières que les deux avaient commises, la plus évidente étant qu’ils avaient mal interprété les portées vides, qui n’indiquaient pas un silence des instruments concernés mais, au contraire, leur jeu à l’unisson d’une partie déjà écrite et qui n’avait pas besoin d’être répétée. Pound a téléphoné à Rome, pour qu’on recadre Torri (le régime fonctionnait). Viennent ensuite les concerts de Pound et Rudge à Rapallo, et la redécouverte de Vivaldi à Sienne, lors d’une mémorable Settimana Musicale Senese en 1939, au cours de laquelle Alfredo Casella a également joué un rôle considérable, soutenu par le comte Guido Chigi Saracini. La fin de l’histoire est triste, voire tragique, mais pas tant pour Vivaldi, qui a recommencé à briller depuis, que pour les héroïques défenseurs de sa redécouverte, à qui nous devons la création du « Fonds Vivaldi » de Turin ; tous ont été persécutés par la folie du régime fasciste.