Compositeur né en 1958, Gérard Pesson a été pensionnaire à la Villa Médicis à Rome. Son journal s’ouvre sur le séjour dans cette ville où il écrit, entre autres, un sextuor inspiré d’Emily Dickinson. Lecteur assidu, les poètes sont ses compagnons, leurs textes, une source ; non qu’il s’agisse seulement de puiser chez eux des vers dont la musique reflétera les figures, composant la “douce rumeur” de Sandro Penna, les arrière-plans glacés des poésies de Du Fu. Les écrivains, comme les peintres, sont aussi les alliés dans ce grand travail inquiétant de l’art ; tel détail biographique disposé dans le texte du journal est alors comme l’éclat d’un miroir où se contemple un sujet qui se console de voir que sous les premiers Ming, “tout n’était pas miel non plus”.
Un journal est toujours l’espace où se déploient les angoisses, les secousses paranoïaques, les plaintes – tout “l’asthme” du diariste, comme dit Pesson. C’est le lieu d’où l’on observe les travers des autres, où l’on exorcise ses “démons choyés” (Mallarmé), où l’on cède à ses manies – ainsi, chez Pesson, celle du décompte des années qu’ont atteint les aînés, de l’âge où ils ont écrit tel chef d’œuvre, mais aussi des secondes composées d’une partition en cours, des heures qu’il faut pour les recopier, les refaire : toute une chronographie, qui est aussi “chronopathie”, maladie que partagent le diariste et le compositeur.
S’il est affecté par le temps, il ne l’est pas moins, comme de juste, par le son. La musique de Pesson travaille dans l’infime, presque dans le blanc, elle veut aller à la racine du geste musical pour ouvrir à une écoute autre. Son style littéraire s’en ressent : précis, avide de nuances, pointu, donnant le monde comme une suite de partitions sonores – Rome, les bords de mer tunisiens, les cris des rues de Paris. L’écriture, en ses deux faces, musicale et littéraire, résulte d’une même enquête, où le sujet se laisse saisir, toucher, et opère ce travail délicat qui veut tirer une contemplation d’un sonagramme.